Temps de travail et sûreté nucléaire : l’irresponsabilité d’EDF
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Un objectif assumé par la Direction d’EDF : augmenter le temps de travail de ses cadres
La Direction d’EDF ne s’en cache pas : la négociation en cours sur le temps de travail a pour objectif principal d’allonger celui-ci, en particulier celui des cadres par un passage au forfait-jour. Le reste n’est qu’enrobage.
La raison avancée par la Direction est le surcroît de travail qui attend l’entreprise et ses salariés, alors qu’elle ne serait plus en capacité d’embaucher plus qu’elle ne le fait déjà. Il n’y aurait donc pas d’autre solution que de travailler plus.
Ce surcroît de travail est attendu principalement dans le nucléaire, avec le lourd programme de maintenance du parc dans un objectif d’allongement de sa durée de vie (« grand carénage »), et dans une moindre mesure dans l’hydraulique avec le renouvellement des concession, et à la Direction commerce avec la fin des tarifs jaunes et verts.
Passons rapidement sur le renouvellement des concessions et la fin des tarifs verts et jaunes : à coup sûr, cela va engendrer un surcroît de travail transitoire … mais qui ne peut justifier autre chose qu’un aménagement ponctuel du temps de travail.
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Le problème majeur : la charge de travail dans le nucléaire
Le véritable problème, très clairement admis par EDF, se situe à la Direction de la Production nucléaire (qui regroupe plus de 60% des cadres de l’entreprise (16 000 sur 26 000).
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En 2012, l’ASN pointait une explosion du temps de travail effectif mettant en danger la sûreté des installations et la santé des salariés
Le temps de travail des salariés des centrales nucléaires a ému l’Autorité de Sûreté Nucléaire (qui assure la fonction d’inspection du travail pour les salariés des centrales) au point de dénoncer, dans un courrier du 19 juin 2012 à la Direction de la Division Production Nucléaire d’EDF : « les infractions relevées par les inspecteurs du travail de l’ASN mettent en évidence, sur l’ensemble du parc en exploitation, des dépassements, parfois extrêmement importants, des limites des différentes durées réglementaires du travail, et des insuffisances de repos caractérisées ».
L’ASN faisait référence aux rappels à la loi effectués par ses inspecteurs sur cette question des dépassements horaires, mais aussi aux procédures pénales en cours et à une condamnation. Après avoir rappelé qu’il s’agissait, comme dans toute entreprise, d’un problème de santé et de sécurité, elle faisait également le lien, dans ce même courrier, avec la sûreté des installations, recherches académiques à l’appui, en « dénonçant aussi les effets néfastes de la durée élevée du travail […], pour ce qui concerne les centrales nucléaires, sur la sûreté des installations ».
Non seulement les dépassements horaires étaient massifs, mais ils étaient également cachés et l’ASN pointait « des lissages manifestes par omissions et reports, qui pourraient conduire les tribunaux à sanctionner ces faits du délit d’obstacles aux fonctions d’inspecteur du travail […]. Enfin, ces heures de travail ne figureraient pas sur les bulletins de salaire (cas des cadres), situation qui pourrait relever du délit de travail illégal ».
Le tableau dressé par l’ASN dans ce courrier, mais aussi dans des courriers destinés aux différentes centrales, aurait dû rendre inimaginable toute volonté de faire travailler plus les cadres (ou les maîtrises et exécutions, d’ailleurs) pour faire face aux « nouveaux défis ».
Sa synthèse des résultats de contrôles faisait par exemple apparaître :
- à Fessenheim, environ 50% des semaines à plus de 48h
- A Paluel, 771 situations infractionnelles (journées > 10h, semaines > 48h, semaine moyenne > 44h sur un cycle de 12 semaines, repos quotidien < 11h)
- A Penly, 602 situations infractionnelles du même type et présence de salariés non déclarées.
Dans un courrier adressé à la centrale de Dampierre, après avoir dénoncé « la présence de rythmes de travail gravement infractionnels pour plusieurs salariés » et « de très nombreuses infractions à la durée maximale du travail et aux durées minimales de repos », l’inspecteur du travail citait des exemples :
- [X] a travaillé 7 jours d’une même semaine à deux reprises sur la période de contrôle, a travaillé 80h31min, 83h18mi, et 92h41min (temps de repas déduit) dans une même semaine, a enchaîné deux journées de travail de 11h43min et 11h53min avec un repos de 3h pris entre 2h39 et 5h40min du matin, a eu des repos quotidiens inférieurs à 9h00 à douze reprises, et a travaillé plus de 10h30 par jour à 56 reprises, dont 19 journées supérieures à 13heurs et une journée à 16h00 !
- [X] a une habitude de travail de plus de 10h30 de travail quotidien […].
Cet inspecteur du travail notait que « l’absence d’un repos quotidien de 11h est une réalité fréquente pour une partie des salariés de maîtrise/exécution, avec une valeur grave : 5h22min » et chez les cadres contrôlés, « seuls 2 cadres n’ont connu aucun dépassement de la durée maximale quotidienne ou hebdomadaire, ni des repos minimums quotidiens ou hebdomadaires ».
Il poursuivait ainsi : « Sur le plan de la santé, de tels rythmes de travail constituent des facteurs de risques psychosociaux reconnus comme gravement délétères. Il est scientifiquement reconnu qu’ils peuvent être à l’origine de pathologies telles que […] crise d’asthme, [..] infarctus, réaction émotionnelle aigüe ».
Bien sûr, ces courriers, repris dans la Presse (Le Monde et Le Canard Enchaîné) datent de 2012. Mais on peine à croire que la situation ait fondamentalement changé depuis.
On est loin, bien loin des rapports très « politiques » de la Cour des Comptes qui dénonçaient, pourtant après ces courriers de l’ASN, un temps de travail insuffisant à EDF SA : « en moyenne, les 62.150 salariés de groupe français d’électricité ont travaillé 1548 heures en 2011. Soit moins que la durée de référence pour l’ensemble des industries électriques et gazières (1570 heures) et “a fortiori “, moins que “celle inscrite dans le droit du travail (1607 heures)”, soulignait-elle. Remarquons donc que la Cour de Comptes parvenait à mesurer le temps de travail des salariés d’EDF quand les inspecteurs du travail n’y parvenaient pas … et qu’elle n’avait pas dû se procurer l’enquête faite en 2008 par EDF sur le temps de travail de ses cadres, qui avait révélé que 95 % des personnes interrogées déclaraient travailler plus de huit heures par jour, et 53 % d’entre elles plus de dix heures.
Et nous ne parlons pas ici des prestataires, qui sont majoritaires sur les sites dans ces périodes de maintenance, salariés « invisibles » dont la Cour des Comptes n’a pas crû bon de mesurer le temps de travail. Cette politique de sous-traitance, comme nous ne cessons de le rappeler avec d’autres organisations syndicales, a des conséquences lourdes sur la santé des salariés comme sur la sûreté des installations. Il serait temps d’y mettre un terme.
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Devant ce constat, déréglementer et allonger le temps de travail est irresponsable
Qui aimerait prendre place dans un avion dont le pilote est soumis à de tels horaires ? Mais c’est vrai qu’il ne s’agit ici que de centrales nucléaires…
Rappelons que dans deux des trois accidents nucléaires majeurs, TMI et Tchernobyl, la fatigue des salariés était l’un des facteurs de l’accident … tout comme dans de nombreux accidents industriels hors du domaine nucléaire, par exemple Bhopal, Challenger, etc. Conclure à « l’erreur humaine » et faire retomber ainsi la faute sur les salariés est bien facile et injuste quand l’organisation du travail les place dans des conditions ne leur permettant pas de réagir au mieux aux situations d’urgence. A EDF aussi, des « erreurs humaines » – comme disent nos directions – sont à l’origine d’accidents.
Devant un tel constat, on aurait pu espérer qu’EDF prenne des mesures dignes d’une entreprise responsable : qu’elle continue à embaucher et contrôle les horaires de ses salariés en vue de les réduire.
Au lieu de cela, elle tente de légaliser ces dépassements par le forfait-jour, qui permet des dérogations à la durée du travail : il permet de faire sauter la limite légale des 10h par jours, 48 heures par semaines et 44h en moyenne sur 12 semaines glissantes. Dans le forfait-jour, seule reste l’obligation du repos des 11h entre deux journées et de 24 heures consécutives par semaine. Il est devient donc « légal » de travailler 78h par semaine (13 heures * 6 jours), voire 84h puisqu’EDF tente d’intégrer une 14ème heure qui ne serait pas considérée comme du travail.
On constate une multiplication des jurisprudences annulant les forfaits jours en raison d’une absence de moyens permettant de vérifier le repos des 11h et d’études démontrant un accroissement très fort du surmenage des cadres auxquels il est imposé. Mais cela non plus n’ébranle pas nos Directions.
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Vraiment, il ne serait pas possible d’embaucher et de partager le travail ???
Si c’est le cas, il est urgent de revoir nos organisations du travail qui ne permettent plus d’intégrer correctement les jeunes, car au démarrage du parc au début des années 80, on a su les intégrer (jeunes ou nouveaux dans le métier) dans des proportions très largement supérieures.
Quant aux enjeux sociétaux du partage du travail, la Direction nous répète, à l’unisson avec la Cour des Comptes, qu’ils sont passés de mode. Ainsi, l’objectif de “libérer des journées et de faciliter l’embauche” en favorisant notamment une “réduction collective du temps de travail à 32 heures”, objectif mis en avant lors de l’accord sur le temps de travail de 1999 aujourd’hui remis en cause, ne serait plus d’actualité. “Force est de reconnaître que ses principes fondateurs ne sont plus adaptés aux enjeux industriels des entreprises”, estimait la Cour des Comptes, en grand stratège.
Tant pis pour les 5 millions de chômeurs qui n’auront pas l’occasion de venir travailler à EDF, il paraît que ce n’est pas moderne de partager le travail. Et tant pis pour la santé des salariés et la sûreté des installations. Si un accident survient, il y a peu de chance que ces grands dirigeants et fins politiques soient poursuivis…
Pour SUD-Energie, l’allongement du temps de travail est irresponsable au regard de la situation de l’emploi, de la santé des salariés, de l’équilibre entre vie privée et vie publique, de la sûreté des installations.
SUD-Energie revendique le partage du travail, passant par :
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Un plan d’embauche à la hauteur des besoins
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Un maintien des accords en vigueur et une incitation au passage à 32 heures dans l’ensemble des directions
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Un contrôle des dépassements horaires des salariés
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Une réflexion sur l’organisation du travail pour permettre une meilleure transmission des compétences