Première analyse après les attentats de Paris
Alors que le deuil et la tristesse nous accablent, plutôt que de réagir dans l’urgence, nous avons préféré prendre le temps de la réflexion avant de vous communiquer notre point de vue en tant que syndicalistes sur ces événements et leurs conséquences. Loin de se vouloir achevée, cette réflexion constitue une contribution au débat qui s’ouvre dans le pays, dans une situation extrêmement anxiogène et complexe.
Car face à la violence et à la barbarie, chacun ressent une terrible angoisse qui au-delà d’une peur bien légitime, trouve ses ressorts dans un sentiment d’impuissance.
Or pour seule réponse à cette situation insupportable, on nous dit que « nous sommes en guerre » et que cette guerre va durer longtemps. On nous alerte par avance sur son cortège d’atrocités inévitables, dont nous-mêmes, nos proches, nos enfants seraient, et pour des années, les victimes potentielles. Et on nous justifie à ce titre des limitations de plus en plus prégnantes de nos libertés individuelles et de nos droits collectifs.
Comment dans ces conditions ne pas être envahis par l’angoisse ?
Nous récusons cette vision des choses, et les choix politiques et sociétaux qui en découlent.
Nous affirmons qu’une autre voie est possible vers la paix, qui ne passe pas par l’escalade guerrière et concomitamment sécuritaire dans laquelle le gouvernent et de nombreuses forces politiques veulent entraîner le pays.
Chacun sait qu’une solution militaire au « problème terroriste » exigerait un engagement massif de troupes au sol, et cela sur de nombreux fronts. Et chacun à conscience qu’à supposer qu’une telle solution soit mise en œuvre, aucune garantie quant à sa pérennité n’existerait.
Les exemples des interventions au Koweït, en Afghanistan, en Irak, en Lybie, au Mali sont là pour le démontrer. Menées au nom des libertés et de la démocratie, mais aussi profondément guidées par des intérêts économiques, de manière opaque et totalement irresponsable au vu des conséquences, elles n’ont en rien éradiqué les courants djihadistes. Elles n’ont fait au contraire que les renforcer, et, parfois, les ont fait naître des cendres des derniers bombardements occidentaux.
Nous réfutons cette logique guerrière et sécuritaire.
Une autre voie existe, qui sans prétendre à éradiquer miraculeusement les menaces qui pèsent sur nos vies dans l’immédiat, ouvre a minima l’espoir d’y parvenir à terme.
Cette voie passe selon nous par quatre exigences.
Premièrement l’abandon total par notre pays de ses engagements militaires hors de ses frontières, partout dans le monde.
Deuxièmement l’assistance humanitaire dans les pays victimes des violences, d’où qu’elle vienne, et l’accueil et l’intégration des réfugiés qui les fuient. Nous avons les moyens d’initier cette politique humaine et ouverte en France, et de mener une campagne internationale pour que tous les pays aujourd’hui officiellement opposés aux régimes dictatoriaux sévissant aux Moyen-Orient et en Afrique ainsi qu’à l’extrémisme religieux, s’engagent dans la même démarche. Une telle politique d’accueil des populations réfugiées, premières victimes des violences, serait aussi la meilleure preuve d’une considération, d’une solidarité et d’une fraternité autre que purement verbales, adressées aux millions de musulmans vivant pacifiquement dans notre pays et de par le monde.
Les hurlements des loups fascisants face à un tel choix rendant enfin à la France son statut de terre d’accueil, ne devrait pas faire plier un gouvernement digne des valeurs de la République qu’on nous dit défendre à longueur de journées, sans jamais les mettre en pratique dans la réalité.
Les arguments sérieux avancés contre une telle politique d’accueil sont principalement de deux natures.
Premièrement sécuritaire, cette politique étant accusée d’ouvrir la porte à des terroristes infiltrés parmi les réfugiés. Mais ce risque bien circonstancié pourrait être très fortement limité à condition d’y consacrer les moyens considérables aujourd’hui affectés aux multiples interventions militaires où on nous entraîne.
L’argument économique, quant à lui, ne tient pas plus. Dans les années 70-80, la France a accueilli environ 130 000 « boat people » sur son territoire. Depuis, le PIB a crû de 77% pour une augmentation de la population de 26% (base 1975), le pays est donc bien plus riche qu’alors. Si la situation sociale s’est dégradée depuis, ce ne pas un problème de « richesse » du pays mais de sa non-redistribution vers ceux qui ont en besoin. Quant au problème du chômage, contrairement aux idées reçues, la quasi-totalité des études disponibles ne confirme pas l’hypothèse d’un effet à la hausse de l’immigration sur le chômage. Au contraire, une comparaison des évolutions dans les différents pays de l'OCDE met en évidence une remarquable corrélation entre la croissance de la population active et celle de l'emploi.
La seule différence de fond est politique : en pleine guerre froide, il était de bon ton d’accueillir des réfugiés fuyant les régimes communistes …
Troisièmement la lutte absolue pour éradiquer les réseaux de financement des groupes islamistes radicalisés, en particulier ceux liés au commerce du pétrole pour ce qui est de « Daech ». Cela signifie également la cessation immédiate de toutes relations commerciales avec les Etats soupçonnés de collusion à quelques degrés que cela soit avec ces groupes.
Enfin, une politique intérieure résolument tournée vers l’éradication des discriminations raciale et sociale que subissent les jeunes des quartiers populaires, dont on ne peut nier le rôle qu’elles peuvent jouer dans la radicalisation d’un certain nombre d’entre eux. Une telle politique exige en particulier de donner aux services publics les moyens nécessaires pour assurer leurs missions dans ces quartiers. En créant des postes dans la police, la magistrature, et les douanes, le Gouvernement semble enfin avoir fait le constat que le « pacte de stabilité » imposé par l’Europe et auquel il se soumet comme ses prédécesseurs depuis des années, était antinomique avec cet objectif. Ce constat et ces mesures ne doivent pas se limiter au plan sécuritaire, mais être étendus à l’ensemble des services publics aujourd’hui particulièrement en déshérence dans les quartiers populaires : éducation, formation, accès à l’emploi, transports, santé, etc.
Il semble qu’une fois de plus dans son histoire, l’humanité ait enfanté un monstre totalitaire préférant, comme tous les avatars de son espèce, la mort à la vie. Il revêt cette fois les habits du fanatisme religieux.
Chacun doit s’interroger sur les causes qui ont conduit à un tel désastre, et prendre sa place dans le débat sur les solutions qu’on peut y apporter.
Mais à ceux qui préfèrent la mort à la vie, on ne pourra au final qu’opposer la vie.