Abandon de la péréquation tarifaire
C OMMUNIQUE DE LA FEDERATION SUD-ENERGIE
Abandon de la péréquation tarifaire
Une nouvelle fois, les hausses de prix de l’électricité et l’absence de visibilité sur leur évolution à long terme, font l’objet d’une inquiétude légitime des clients ayant fait valoir leur éligibilité (c’est-à-dire ayant choisi d’abandonner le tarif historique régulé par l’état). Ces hausses « pourraient conduire à la délocalisation de 80000 emplois », selon une étude du Conseil général des Mines et de l’Inspection des finances, datée de Septembre 2004.
De nombreux acteurs, dont SUD-Energie, ou F. Soult dans son livre « EDF, chronique d’un désastre inéluctable », ont alerté à maintes reprises, depuis maintenant plusieurs années, sur ces hausses prévisibles. A longueur d’articles proposés à la presse, mais non publiés, nous avons expliqué que les caractéristiques de l’électricité font qu’une mise en concurrence conduit à une hausse des prix, à une désorganisation du système et – même si cela préoccupe moins les grands industriels – à un bradage des services publics de l’énergie.
Il devient cocasse d’entendre certains experts continuer à défendre la logique de ces hausses de prix : elles seraient dues à une augmentation du coût des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) et auraient « peu à voir avec la libéralisation » , selon Jean-Marie Chevalier (Le Monde du 24 Février 2004). Cette explication a de quoi étonner lorsqu’on sait que la quasi totalité de la consommation française est couverte par les moyens de production de l’Hexagone à 80% nucléaire et à 10 à 15% d’origine hydraulique. S’il y a corrélation avec le coût des énergies fossiles, ce ne peut être qu’en rapport à un marché européen qu’on sait pourtant inexistant (volumes marginaux).
Ces experts pourraient relire les conclusions du cabinet NUS Consulting Group, travaillant pour l’Observatoire Européen de la Dérégulation des Marchés de l’Energie, et difficilement soupçonnables d’être de parti pris contre le processus d’ouverture des marchés. Comme les années précédentes, ce cabinet conclut, dans une étude parue en Janvier 2005, que la déréglementation du marché de l’électricité aboutissait fatalement à une hausse des prix.
Nous regrettons que la presse continue à solliciter l’avis d’experts qui n’avaient pas prévu ces hausses et ne s’intéresse toujours pas plus aux écrits et personnes qui avaient prévu les dérapages actuels.
On pourrait également espérer, au vu de cet échec chaque jour plus patent de la libéralisation du secteur de l’énergie, que le Gouvernement, comme la Commission de Bruxelles, finiraient par en tirer un bilan et stopperaient – ou au minimum suspendrait – ce processus.
Il n’en est rien. L’un comme l’autre continuent de soutenir qu’il suffit de mieux réguler ce « marché », sans admettre que, compte tenu des caractéristiques physiques de l’électricité,la mise en concurrence de l’électricité ne peut fonctionner correctement quel que soit le type de régulation, ainsi que l’ont montré de multiples tentatives à l’étranger. Ainsi, la dernière proposition ministérielle, pour pallier les hausses de prix, consiste à proposer aux plus gros industriels de s’associer au financement de nouvelles capacités de production, en contrepartie de contrats à long terme leur garantissant une électricité à un prix acceptable.
Cette solution ne s’adresse évidemment qu’aux très gros industriels, seuls capables d’investir ainsi dans des capacités de production…et de faire un lobbying actif auprès de celui qui était, il y a peu, ministre de l’économie. M. Gaymard se vantait en effet de les « connaître très bien ». Dans ce scénario, les plus petits clients éligibles continueront, eux, à supporter les hausses et les variations de prix engendrées par le « marché ». Cela marque la fin de la péréquation tarifaire, annoncée par la disparition du monopole public.
Dans le même temps, il devient ubuesque d’entendre la Commission de Régulation de l’Electricité (CRE) se féliciter, dans son rapport sur l’ouverture des marché, du nombre de clients ayant fait valoir leur éligibilité (77.500 sites sur 4,5 millions potentiellement éligibles), sans d’ailleurs qu’elle puisse y voir un signe de bon fonctionnement de la concurrence : en effet, seuls 28% de ces clients ayant décidé de sortir du tarif historique réglementé sont partis d’EDF, les autres ayant simplement troqué ce tarif réglementé contre une « nouvelle offre de prix » d’EDF. Pourquoi faudrait-il s’en réjouir ? Qu’ont gagné ces clients, si ce n’est l’interdiction de revenir à un tarif réglementé ? Sans doute l’attrait d’un prix d’appel légèrement plus bas, mais sans aucune garantie d’évolution à moyen terme. Ils risquent fort de connaître, bien vite, les mêmes désillusions que les grands industriels ayant eu la possibilité de sortir avant eux du tarif et qui font désormais appel aux autorités. Ils pourraient connaître le même sort qu’Alcan, par exemple, dont les dirigeants craignent de voir leur prix doubler à échéance de leur contrat.
Que ces clients ne s’y trompent pas, EDF est le premier à se réjouir de ces « sorties » du tarif historique, qui lui donnent toute liberté d’augmenter ses prix et lui permettent donc d’améliorer ses marges conformément à ses objectifs (7% visés contre 2% aujourd’hui).
Non contents d’avoir ainsi « piégé » quelques clients, la CRE, soutenue par EDF et ses concurrents, œuvre pour que les tarifs historiques réglementés soient tout simplement supprimés. Les 4,5 millions de clients éligibles se retrouveraient alors soumis aux aléas du « marché ».
Cette situation est d’autant plus injuste que ce sont précisément ces gros industriels qui réclamaient, à l’époque du monopole, l’ouverture à la concurrence. Lorsque les prix, juste après l’ouverture des marchés, ont chuté en deçà des coûts de production et leur ont permis d’augmenter leur marge, personne ne s’est inquiété d’un dysfonctionnement. Le « marché » était vertueux. Quand, au contraire, les prix remontent de manière certes injustifiée économiquement (stabilité des coûts de production), mais totalement prévisible, ces grands libéraux appellent l’Etat à la rescousse et brandissent la menace, qu’ils sont probablement prêts à exécuter, de délocalisations massives. Ce comportement est assez représentatif de la conception aveuglément libérale portée par le Gouvernement et l’Union Européenne : on privatise les gains, on mutualise les pertes. Et accessoirement, on joue aux apprentis sorciers au mépris de l’emploi.
Quelle catastrophe faudra-t-il pour que soit remis en cause le processus de libéralisation, et pour qu’il soit enfin admis que certains services publics ne peuvent être efficacement portés par le marché ?
Le Gouvernement avait promis d’établir un bilan fin 2006, avant l’ouverture du marché aux clients particuliers. C’est bien tard –trop tard ? – au regard de l’ampleur des dysfonctionnements déjà observés. Et surtout, ce bilan, même s’il existe, sera sans effet puisqu’il ne pourra remettre en cause le « marché de l’Energie », inscrit noir sur blanc dans la constitution européenne, à l’article III-256. A moins que les électeurs rejettent celle-ci lors du prochain référendum…
Paris le 28 Février 2005.