Réquisitions : la Direction instrumentalise la question de la sécurité
Rappelons quelques chiffres : les pointes de consommation en été sont autour de 55000 MW, pouvant aller jusqu’à 60 000 MW en cas de canicule, à comparer aux 92 000 MW de pointe connus cet hiver. Il existe certes d’autres contraintes en été, principalement la maintenance des centrales, mais cela laisse des marges de manœuvre…Par exemple le décalage de ces périodes de maintenance, comme cela vient d’être décidé dès le mois de Juillet, mais passé sous silence.
SUD Energie, comme d’autres fédérations, a dénoncé le mélange des rôles, puisque RTE est seul responsable de l’équilibre du réseau : c’est donc à lui de signaler un éventuel risque de déséquilibre. Or, les documents produits par RTE au moment de la réquisition n’étaient en rien alarmistes.
Devant cet argument imparable, EDF a à l’évidence fait pression sur sa filiale à 100%, RTE, qui a publié hier une actualisation de ses prévisions (qui dataient pourtant du 10 juin, donc bien postérieures au démarrage de la grève). Mais malgré toute sa bonne volonté, RTE ne peut se résoudre à décréter l’état d’alerte : son document actualisé est bien prudent et fort peu détaillé (par exemple, il ne précise pas le nombre de tranches bloquées par la grève sur lequel il fonde ses hypothèses).
RTE conclut que, même en situation de canicule, « toute nouvelle dégradation de la disponibilité du parc de production serait susceptible, en cas de forte chaleur, de menacer la sécurité d’approvisionnement du pays en électricité ».
« Toute nouvelle dégradation de la disponibilité du parc de production » se réfère donc à l’hypothèse d’une amplification du conflit, que RTE ne chiffre pas. Autrement dit, avec le niveau actuel de grève, la sécurité du réseau ne semble pas menacée même dans les scénarii les pires, le seul problème étant le risque – très improbable – de devoir importer 8000 MW, sans qu’il soit précisé le solde (exportations – importations). Rappelons que la France exporte régulièrement de l’ordre de 7 à 8000MW.
Ajoutons qu’une menace sur la sécurité du réseau ne signifie pas que la France serait plongée dans le noir. Il existe bien des moyens d’éviter le black-out, lorsque cela est anticipé : décalage des périodes de maintenance, appel aux moyens exceptionnels, appel à un comportement plus sobre, et éventuellement délestage de clients ciblés.
Dans tous les cas, il ne s’agit pas d’une question vitale mais d’un risque de coupure. Or les directions d’EDF sont bien moins regardantes à ce risque lorsqu’elles suppriment à tours de bras les agents de terrain susceptibles d’intervenir sur les lignes, ainsi que les moyens matériels.
Les coupures liées au sous-investissement et au manque de personnel ont explosé ces dix dernières années. Si la tempête de 1999 se reproduisait aujourd’hui, des régions entières resterait plusieurs mois dans le noir ! Sur un département comme le Calvados, les agents disponibles et aptes pour remonter les lignes sont passés de 370 à 70 en 10 ans, sans compter la disparition des moyens matériel (foreuses, nacelles …). Les Directions sont-elles pour autant assignées au Tribunal pour risque de coupure sur le réseau ?
Plus généralement, tous les indicateurs sur les temps de coupures explosent.
D’autre part, la sous-traitance à outrance entraîne une dégradation de la sûreté des installations – ce qui correspond à des risques bien plus graves- comme le relève la sociologue Annie Thébaud-Mony[1] .
La dégradation de la sécurité du réseau et de la sûreté des installations est l’un des déclencheurs de la grève qui s’est développée depuis 3 mois, puisque les revendications ne portent pas uniquement sur les salaires, mais également sur l’embauche des sous-traitants et sur l’emploi.
Les salariés sont au-moins aussi attentifs aux questions de sûreté et de sécurité que les Directions. Ils ont choisi, dans le nucléaire, un mode de grève qui garantit totalement cette sûreté en intervenant pendant les arrêts de tranche.
La Direction d’EDF instrumentalise donc la question de la sécurité pour faire arrêter une grève dont elle refuse de traiter les causes et pour faire reculer le droit de grève.
Ces attaques du droit de grève sont à mettre en lien avec les procédures de sanction à grande échelle (250 salariés concernés environ à ce jour) mis en œuvre à ERDF et GRDF.
Les Directions d’EDF adoptent une attitude irresponsable et liberticide. Elle fuit ses responsabilités quant au dialogue social. Elle s’est octroyé le droit de décider unilatéralement, sans aucune justification et en dehors de toute procédure, des conditions de la grève (où, quand et comment les salariés peuvent rentrer en grève).
C’est pourquoi la Fédération SUD Energie assignera en référé la Direction d’EDF pour cette atteinte sans précédent au droit de grève.
Paris, le 24 juin 2009-06-24
Fédération SUD Energie
[1] Elle écrivait dans Le Monde du 5 Avril 2007 « il y a ce qu'ils vivent au quotidien, qui est une fragilisation de la sûreté. En ne contrôlant plus l'efficacité de la maintenance, les agents EDF ont été privés de cette relation un peu organique à un service d'entretien, qui garantissait la mémoire du travail fait []. Ils commencent à douter de la sûreté des centrales. Pour beaucoup, le mal-être actuel provient du sentiment d'avoir été trompés. Et ils le savent mieux que d'autres : la progression du risque majeur est d'autant plus grande que l'on perd la maîtrise de la maintenance et la confiance en la production ».